Avis de tempête sur l’espace européen ?

Par EDITH CRESSON et XAVIER LEBACQ

Un sujet brûlant mobilise aussi nos gouvernants européens : l’avenir de l’Europe spatiale, notamment en matière de capacités de lancement. La presse économique a bien senti le danger présenté par la concurrence de SpaceX avec ses lanceurs en partie réutilisables comme Falcon 9. Tom Enders lui-même vient de pousser un cri d’alarme ; a-t-il tort ?

Certains se gaussaient en 2014 des « illusions » technologiques d’Elon Musk. Depuis, les lanceurs de SpaceX ont le vent en poupe. La Chine a emboité le pas et prépare aussi des lanceurs en partie récupérables. Une autre société américaine, Blue Origin, se positionne avec des lanceurs au premier étage réutilisable. Le Japon, l’Inde sont aussi sur la brèche. Certains évoquent maintenant la mauvaise santé financière de SpaceX, en oubliant que la fortune personnelle d’Elon Musk est de plus de 20 milliards de dollars….

L’Europe miserait presque tout sur Ariane 6 dont les premiers lancements sont prévus en 2020 et pour laquelle on n’a pas l’engagement des états européens à lui réserver les lancements de satellites institutionnels. Outre Atlantique, le Buy American Act prévoit que tout satellite payé par le contribuable américain doit être lancé par une fusée fabriquée à plus de 51% aux Etats-Unis. Qu’attend donc l’Europe pour faire de même ? Le satellite luxembourgeois SES 14, construit par Airbus a été lancé par SpaceX…

Certes, Ariane étudie aussi des options de récupération à l’horizon 2030, voire des options futuristes de lancement par catapulte électromagnétique. Mais elle pourrait bien avoir des années de retard. Les organisations industrielles d’Ariane et d’Airbus peuvent-elles la «booster». Faut-il sauvegarder des capacités de lancement européennes ? L’état actuel de l’UE ne laisse rien présager de bon. Une défense européenne ne peut pourtant pas se priver de capacités de lancement européennes !

Quelque part, c’est en partie le projet avorté en 1992 de la navette spatiale européenne Hermès qui a permis à l’Europe d’être au rendez-vous de la compétition mondiale avec un lanceur de forte capacité, Ariane 5, qui a pu capter 50 % du marché des lancements de gros satellites. Sans le projet Hermès, aurait-on fait Ariane 5 à temps pour capter ce marché ? Aujourd’hui, quel déclic permettra à l’Europe de rester dans la course ?

On est aujourd’hui dans un contexte de concurrence exacerbée pour les lanceurs de gros satellites, une vingtaine par an dans les bonne années, mais aussi de montée en puissance de kyrielles de petits satellites, qui, pour partie, sont des alternatives à de gros satellites. Les options de lanceurs pour ces petits satellites foisonnent : petites fusées, avions, ballons ou drones de lancement. Et là, les initiatives foisonnent.

Au moment où la Commission européenne propose au Parlement européen un budget spatial renforcé, signe tangible de reconnaissance de l’importance stratégique et économique de ce secteur, et où l’Europe s’engage résolument pour investir de manière là encore très importante dans la défense, ne pas soutenir résolument la filière européenne de systèmes de lancement ne serait-il pas pour le moins paradoxal ?

Que faire ?

  • Déjà un engagement du conseil européen à financer, même au prix fort, non seulement Ariane 6 par le biais des lancements de satellites institutionnels et militaires mais aussi le développement de nouveaux lanceurs. Là où Donald Trump n’a pas de scrupule à agir pour « America first », pourquoi nous priver de faire de même dans ce secteur directement concerné par la défense européenne ? De plus Donald Trump vient de déclarer son intention de créer une « Space force », sixième composante la défense US.
  • Mettre un peu d’ordre sans nuire à une saine émulation dans les initiatives des pays européens en matière d’options de lancement de petits satellites et soutenir davantage ces initiatives.
  • Obtenir un engagement corrélatif de l’industrie à participer au financement de nouveaux projets en parallèle d’Ariane 6. Mais la réactivité et l’urgence pourront-t-elles s’accommoder d’un partage des tâches entre pays et industries des Etats membres ? Comme pour nombre de grands projets, notre industrie doit se monter plus que jamais agile et s’adapter à une concurrence de plus en plus féroce. Faut-il continuer à s’arcbouter sur la seule Ariane 6 ?
  • Ensuite des choix énergiques d’organisation plus réactive et compétitive et des choix judicieux de gouvernance d’Airbus à l’échéance programmée du départ de Tom Enders. Une connaissance de l’aéronautique et du travail en commun avec l’Allemagne ne sont-ils pas des prérequis ? Airbus est directement impliqué dans l’industrie spatiale européenne. Le développement d’un nouveau chasseur européen associera Dassault et Airbus. Le Brexit de la Grande Bretagne complique aussi les choses. Il ne fait donc guère de doute qu’un homme fort doit être identifié au plus vite pour prendre la tête d’Airbus en 2019.
  • Lancer, si ce n’est déjà fait, une commission d’enquête sur l’espace européen, commission rassemblant quelques pointures de l’industrie aérospatiale, y compris ceux qui sont retirés des affaires. La France n’est manque pas. Quelques X faisant ou ayant fait leur carrière dans l’aéronautique et l’armement sont tout prêts à participer à la tâche. Cette commission pourrait aussi identifier les meilleurs profils pour la gouvernance d’AIRBUS.

Ces propositions sont globalement en ligne ce que Frédérique Vidal a évoqué dans son interview du 25 juin dernier dans «Les Echos» et qui atteste de la préoccupation du gouvernement pour ce dossier sensible. Le dernier numéro du magazine des polytechniciens « La jaune et la rouge » aborde le dossier du spatial avec de nombreux développements et mérite d’être lu et exploité.

Peut-on espérer que la seule tempête sur l’espace européen soit une tempête solaire comme celle de1859 ? Tous les satellites actuellement en orbite seraient grillés et les remplacer serait une sacrée aubaine pour tous les lanceurs. Mais autant ne pas attendre cette tempête solaire pour assurer un avenir aux lanceurs européens !

Les douze travaux d’Emmanuel Macron

Par LE GROUPE « QUE FAIRE ? »

Source : Mediapart du 26.05.2017

Réformer notre système éducatif, éradiquer le chômage de masse, mettre fin au déclin industriel et à la ghettoïsation de nos banlieues, lutter contre les inégalités et redéfinir l’Europe, permettront vraiment à la France de se mettre En Marche !

Après une élection présidentielle qui a permis de faire triompher de grandes idées (ouverture de la France à l’Europe et au monde, volonté de réforme de notre économie et de nos institutions), le temps vient où le programme d’actions va devoir être plus concret, plus opérationnel. Le groupe « Que Faire ? », réuni autour d’Edith Cresson, considère que douze travaux prioritaires devront aboutir.

Les trois premiers visent créer une société de la connaissance, en réformant un système d’éducation qui fonctionne essentiellement sur la sélection et rejette un nombre considérable de jeunes dont 20 % sortent du primaire sans maîtriser les savoirs de base, gonflant la cohorte des 1 669 000 « NEETS » (neither in employment nor in education or training). La priorité doit porter d’abord sur le primaire, non seulement en augmentant le nombre d’enseignants dans les classes défavorisées, mais surtout en les motivant, par des rémunérations et des évolutions de carrière différenciées. Elle doit aussi viser une politique de lutte contre le « décrochage », en accordant une vraie priorité aux écoles de la deuxième chance. Quant à la formation professionnelle, elle doit s’intéresser vraiment aux sans-emploi et répondre aux besoins d’une économie exposée à la concurrence internationale et bousculée tant par le big data que par l’industrie 4.0.

Déclin industriel. Les deux suivants devront mettre fin à notre déclin industriel, en améliorant l’environnement économique et fiscal des entreprises. Notre système fiscal nous a conduits à être l’une des économies les plus taxées, notamment en prélèvements qui renchérissent le coût du travail. Y remédier implique de supprimer progressivement les modes d’imposition assis sur la masse salariale et de leur substituer la valeur ajoutée. Il ne s’agit pas de supprimer les impôts et cotisations payés par les entreprises, mais de changer leur assiette, afin d’alléger le coût du travail. Au passage, dans un effort indispensable de moralisation du secteur privé, il faut pénaliser les entreprises qui distribuent des rémunérations déraisonnables et supprimer la déductibilité fiscale des « salaires » qui dépassent 20 fois le smic.

Notre pacte républicain devra veiller à une nécessaire redistribution pour corriger les inégalités que génère la vie économique et pour conduire une véritable politique de protection de la famille

Trois autres travaux permettront d’éradiquer le chômage de masse, en donnant un nouvel élan à la croissance et l’innovation. Tout a été dit sur les rigidités d’un Code du travail qui s’immisce dans les moindres détails de la vie de l’entreprise, qu’elle ait 50 000 salariés ou moins de 100. Il faut donc introduire, dans les conventions collectives, un volet PME négocié par des acteurs eux-mêmes issus de PME. Il faut aussi tirer la leçon de l’échec cuisant de la fusion des Assedic et de l’ANPE et réformer Pôle Emploi : les métiers de l’indemnisation et ceux du reclassement n’ont que peu en commun et il faut gérer séparément ceux qui gèrent l’indemnisation et ceux qui accueillent les chômeurs, les soutiennent, les orientent et démarchent les employeurs. Une attention particulière doit être accordée aux handicapés, en réformant une législation détournée par la prise en compte de handicaps sans incidence professionnelle et, surtout, en accroissant les moyens de formation et d’adaptation.

Un de ces douze travaux devra rendre réelle l’égalité garantie par notre Constitution, sans distinction d’origine ou de religion, qui ne suffit pas à occulter les inégalités qui subsistent, dans les ghettos bâtis aux portes de nos villes, où le chômage persiste et où la désespérance s’installe, terreau fertile à tous les extrémismes. Mettre fin à cette ghettoïsation permettra d’assurer l’accession de tous aux savoirs indispensables et de faciliter l’insertion dans le marché du travail des enfants des banlieues ce qui, au-delà des préoccupations de justice, aura un impact positif sur notre compétitivité. Plus généralement, notre pacte républicain devra veiller à une nécessaire redistribution pour corriger les inégalités que génère la vie économique et pour conduire une véritable politique de protection de la famille.

Protection européenne. Les trois derniers « travaux d’Emmanuel » devront cibler l’Europe, interpellée par Vladimir Poutine, remise en question par le Brexit et bousculée par Donald Trump. Pour que nos peuples adhèrent à un projet européen repensé, il ne suffit plus d’évoquer 70 ans de paix ou les acquis d’un grand marché. Les citoyens attendent de l’Europe plus de protection et d’ambition. Cela impose de renforcer l’euro pour en faire une vraie monnaie d’échange internationale, ce qui exige d’approfondir sa gouvernance, y compris dans sa dimension sociale et fiscale et d’assainir nos finances publiques, condition de notre renaissance économique ; de mettre en œuvre une politique commerciale plus offensive, exigeant une réciprocité d’ouverture, y compris en menaçant d’un « Buy European Act » ; de s’engager dans une « Europe des Projets », rassemblant les Etats les plus ambitieux, notamment l’Allemagne et la France, pour une action commune en matière de Défense et de Sécurité, de coopérations industrielles dans l’énergie, les industries de transport, les technologies de l’information et les biotechnologies, une diplomatie mieux intégrée incluant des partenariats stratégiques avec le monde arabe, l’Afrique sub-saharienne, l’Amérique latine et l’Asie, afin de redevenir un des centres de gravité du monde.

En conclusion, les Français attendent des mesures concrètes et ambitieuses qui leur redonnent espoir. Réformer notre système éducatif, éradiquer le chômage de masse, mettre fin au déclin industriel et à la ghettoïsation de nos banlieues, lutter contre les inégalités et redéfinir l’Europe, permettront vraiment à la France de se mettre En Marche !

Groupe « Que faire ? », anciens membres de cabinets ministériels, de droite, du centre et de gauche, réuni autour d’Edith Cresson, ancien Premier Ministre.

Des services « Haute Couture » pour l’industrie

Par OLIVIER LLUANSI

Source : Le Monde 02.09.2017Télécharger

Relever nos défis industriels différemment, en associant groupes et start-up autour du couple produit/service

Le Gouvernement annonce un Fonds Innovation Industrie doté de 10 Md €. Saluons l’initiative ! L’industrie est un secteur en pleine mutation. « L’industrie du futur » ou « industrie 4.0 » se caractérise par un double mouvement au sein des entreprises :

  • Une recherche d’efficacité. Le potentiel des briques technologiques disponibles est un triplement des gains annuels de productivité (env. 20 % de gains sur 5 ans).
  • Le développement de services « on-top », nouvelles applications et nouvelles fonctionnalités des biens industriels pour créer de la valeur ajoutée et éviter l’effet « déflationniste » des gains de productivité. Des entreprises industrielles – petites et grandes – ne vendent plus, comme hier, moteurs ou compresseurs d’air, mais des heures-moteurs ou des volumes d’air comprimé et de la fiabilité. Les fabricants de rames de train imaginent valoriser les données recueillies sur les usagers pour de nouveaux services (divertissement, services à la place, etc.). Les équipementiers aéronautiques améliorent la maintenance et le suivi de la performance.

Le « mal investissement » français, depuis 25 ans (un niveau d’investissement global satisfaisant, mais un taux d’investissement moyen en machines et équipements de 6% du PIB français entre 1990 et 2007 contre 8% en Allemagne, l’écart s’étant maintenu après 2008) ne se comblera que progressivement, via un allègement des impôts de production, le renouvellement du suramortissement ou la baisse des charges sociales sur les salaires intermédiaires. Le rôle d’un Fonds Industrie Innovation doit être différent.

Une quarantaine de briques technologiques composent le socle de « l’industrie du futur ». Un Fonds Innovation Industrie pourrait en financer certaines « Made in France » : cybersécurité, impression 3D, intelligence artificielle, etc. Mais d’autres ressources publiques sont disponibles à cette fin, dont le Programme des investissements d’avenir. Le fonds devrait donc miser sur deux vrais avantages comparatifs.

Le premier s’appuierait sur la FrenchTech. La France dispose d’une compétence reconnue en matière de services digitaux, ce qui lui confère un réel avantage, dans la transformation en cours, pour la création de services à valeur ajoutée « on-top ». Cela permettrait, au-delà de l’industrie 4.0 centrée sur l’outil de production, d’améliorer le couple produit/services, pour mieux s’adapter aux besoins et désirs des utilisateurs.

Le second rechercherait une meilleure articulation entre le tissu industriel français, structuré autour de grands groupes, et nos start-ups. Il supposerait de renoncer aux prises totales de contrôle, mortifères pour la créativité et l’agilité ou aux achats destinés à neutraliser des concurrents potentiels. Un Fonds Industrie Innovation de 10 Md€ devrait faire émerger des consortia où des groupes travailleraient sur un pied d’égalité avec des start-up sur un mode « création agile / partage de valeur ».

La puissance publique a régulièrement soutenu des projets de long terme, depuis les programmes pompidoliens jusqu’au soutien de la NASA à Space X, en passant par celui de l’armée américaine à Internet. Dans les années 70, retrouver une indépendance technologique via de grands organismes (CEA, DGA, etc.) était l’impératif français. Aujourd’hui l’objectif doit être différent : coupler la puissance commerciale, financière et industrielle de nos groupes à l’agilité et la créativité des start-up de la FrenchTech. Le Fonds primerait les meilleurs consortia entre groupes disposant de belles parts de marché et start-up ouvrant de nouveaux chemins.

L’indispensable montée en gamme sur le produit, préconisée par le Rapport Gallois (2012) sera longue. En revanche, une montée en gamme rapide est ouverte via le couple produit/services : habiller nos produits industriels de services ‘haute couture’. Nous devrions trouver-là un nouveau savoir-faire français !

Olivier Lluansi est consultant et membre du groupe « Que Faire ? », qui rassemble d’anciens membres de cabinets ministériels, de droite, de gauche et du centre, et des dirigeants du secteur public ou privé, désireux de réformer la France.