L’Europe ne doit plus se comporter en Vassale
Par EDITH CRESSON et LE GROUPE EUROPE DE « QUE FAIRE ? »
Publié par l’Association « Que Faire ? » le 20.05.2018
Après avoir entrepris de tailler en pièces les mécanismes du commerce international par des taxes unilatérales sur l’acier et l’aluminium, Trump entend imposer à toutes les entreprises du monde son revirement politique sur l’Iran. Personne ne croira à une pure coïncidence : le locataire de la Maison Blanche a déclaré la guerre économique, y compris à l’Europe, et veut y consacrer tous les moyens politiques et diplomatiques.
Les réponses annoncées par les dirigeants européens risquent d’être peu efficaces
La position adoptée à Sofia par les chefs d’Etat et de Gouvernement est satisfaisante dans son principe. Mais elle risque de se résumer à des moulinets de bras. La « loi de blocage » restera un « tigre de papier » si elle se limite au refus d’appliquer sur le territoire européen les oukases américains et n’ouvre pas la voie à de véritables mesures de rétorsion qui dissuaderaient l’administration américaine d’imposer des sanctions à nos entreprises ou à leurs filiales établies aux États-Unis, quand bien même ces dernières, seules à devoir légitimement se conformer aux règles établies par les autorités US, ne seraient pas impliquées dans leur non-respect. Washington usera de tous les prétextes, au motif qu’elles se financeraient en dollars ou que leurs produits comporteraient des composants américains, pour imposer sa loi. L’idée de saisir l’OMC ne serait guère plus efficace : même si elle s’estimait compétente, ses procédures dureraient des années, pendant lesquelles les contrats seraient gelés ou résiliés. Au final, bien peu de nos entreprises et de nos banques prendront le risque de se couper du marché américain. Plusieurs, parmi les plus grandes, l’ont d’ailleurs annoncé.
En outre, l’unité affichée à Sofia ne suffit pas à démontrer que les intérêts des pays européens sont vraiment alignés, notamment entre la France et l’Allemagne, son partenaire privilégié. Nos voisins d’outre-Rhin, qui vivent et prospèrent de leurs excédents commerciaux, ne craignent rien tant qu’une soi-disant guerre commerciale : leur volonté de lutte se réduira comme neige au soleil dès que les USA fronceront les sourcils. On l’a vu dans l’affaire des taxes sur l’acier et l’aluminium où, quelques jours après qu’Emmanuel Macron est allé demander leur retrait à Washington, Angela Merkel est partie « négocier » dans l’idée d’éviter ce qu’elle considère comme un risque d’escalade préjudiciable aux exportations allemandes.
Finalement, si la fermeté de notre réponse est un signal positif, elle devra être jugée à l’aune de nos actes et à la capacité réelle, pour l’Europe, de riposter. Et la prise de conscience des limites de nos moyens d’action appelle évidemment une ambition beaucoup plus grande pour le projet européen. Plusieurs actions résolues permettraient d’y contribuer.
Faire de l’Euro une monnaie de règlement des échanges internationaux
La première bataille sera celle de la monnaie de règlement des échanges internationaux. La suprématie du dollar, notamment dans le commerce des produits pétroliers et des matières premières, doit cesser. Cela impose, à court terme, de trouver les relais qui permettront à nos entreprises de financer leurs contrats et leurs exportations. Nos institutions financières publiques et parapubliques, nationales et européennes, doivent être mobilisées. À moyen terme, la solution sera de rendre l’Euro crédible dans sa pérennité et sa stabilité. Les efforts de redressement fournis par plusieurs pays, notamment la France, permettent de donner des assurances sur le fait que l’Euro est là et le restera. L’amélioration de notre compétitivité et nos investissements dans les technologies devraient garantir sa stabilité. Reste à nouer, rapidement, des accords avec nos partenaires extérieurs pour faire de l’Euro LA monnaie de règlement privilégiée et affaiblir l’Amérique comme gendarme de la planète financière.
Mobiliser, y compris aux USA, ceux qui redoutent les effets de la politique de Trump
Cette politique est loin de faire l’unanimité. Nombreuses sont les entreprises américaines qui coopèrent avec leurs homologues européennes dans des projets de recherche et développement, notamment dans l’aéronautique et le spatial. Airbus et Boeing sont, à cet égard, à la fois concurrents et partenaires. Leur voix devrait sensibiliser, à Washington, ceux qui sont aptes à comprendre les dangers que courent les États-Unis à vouloir s’isoler. Simultanément, l’Europe ne doit pas hésiter à rechercher des partenariats technologiques et industriels avec d’autres puissances mondiales, notamment la Russie. Ne laissons pas au Président américain le monopole des rapports de force.
Créer de nouvelles armes commerciales, fondées sur la réciprocité
Il n’est pas pensable que l’Europe se soumette sans réagir à la Lex Americana. Que les Américains décident de sanctions applicables à leurs entreprises, c’est leur droit. Qu’ils les imposent à la planète ne peut être toléré. Il faudra aller bien au-delà de la « loi de blocage ». Trump, Poutine ou Xi-Jinping sont dans un rapport de force permanent, auquel l’Europe n’aura de chance de résister que si elle se dote d’armes aussi efficaces et affirme sa volonté d’en user pour défendre ses intérêts et l’accès aux marchés de ses partenaires.
Unifier nos forces
Renforcer l’Union européenne doit plus que jamais être notre priorité, pour qu’à terme nos intérêts soient mieux concordants et que nous parlions d’une seule voix. L’Europe doit reposer sur la solidarité, à l’abri des égoïsmes nationaux, ce qui impose une plus grande intégration économique. Si elle n’est pas possible à 27, qu’elle se fasse au sein de la zone euro, ou à quelques-uns, États pionniers qui accepteront d’en prendre le risque. Le futur Traité de l’Élysée doit accélérer la convergence entre l’Allemagne et la France, sans exclusive et dans un esprit d’ouverture, mais avec la ferme volonté de créer l’exemple et de montrer qu’une union renforcée est la seule façon de retrouver notre souveraineté.
Cela impliquera que la France accepte des efforts et des concessions, notamment sur le plan diplomatique. Après le Brexit, elle sera le seul pays européen à disposer d’un siège permanent au Conseil de sécurité, d’une armée projetable, d’une diplomatie présente sur l’ensemble de la planète et d’une dissuasion nucléaire. Ce « capital » devra être mis à la disposition d’une politique européenne ou, à défaut, d’une union renforcée avec un nombre limité de pays.
Renforcer l’Europe, ce n’est pas chercher à s’interroger, de façon théorique, sur l’avenir de ses institutions ou sur sa qualification d’Europe fédérale, confédérale ou des nations. Ces concepts ne parlent qu’aux spécialistes et n’ont guère de sens pour nos concitoyens qui sont d’abord concernés par les menaces que la politique de Trump fait peser sur leurs emplois. Ce qu’ils attendent, ce sont des manifestations de solidarité concrète qui nous permettent de jouer à armes égales, dans un monde où l’Europe doit savoir se comporter en puissance économique.
Edith Cresson, ancien Premier Ministre, ancien Commissaire européen
Avec le groupe Europe de l’association « Que Faire ? » (Olivier Lluansi, Sophie Segond et Jean-Paul Tran Thiet)