Par THIERRY DAHAN et JEAN-PAUL TRAN THIET
Source : Le Monde du 11.07.2017 – Télécharger
Selon deux membres du groupe Que faire ?, les réformes annoncées par le président de la République vont dans le bon sens mais ne sont pas suffisantes
L’annonce de la suppression de la Cour de justice de la République (CJR) est une bonne nouvelle et un signal longtemps attendu d’une sortie de la logique des immunités diverses, que l’on applique à certains responsables politiques, au nom d’une conception erronée et vieillotte de la séparation des pouvoirs. C’est une réforme importante au plan des symboles mais, il faut bien le reconnaître, de portée relativement limitée en ce qui concerne le nombre d’actes concernés.
De plus, cette suppression va poser la question de la juridiction de remplacement car il n’est pas certain que le droit commun donne au juge pénal une compétence générale pour tous les actes de -gestion des élus qui relevaient auparavant de la CJR et il n’est pas certain que le juge pénal soit le mieux placé pour réprimer certains actes de mauvaise utilisation de l’argent public.
Il ne faut donc pas s’arrêter en si bon -chemin. Le gouvernement doit profiter de la loi qui va être discutée pour supprimer de notre dispositif législatif une autre aberration ancienne, qui n’est plus justifiée aujourd’hui. Une réforme qui toucherait la vie quotidienne de nos concitoyens et qui pourrait avoir une grande portée si on considère le nombre d’actes de gestion potentiellement concernés.
En application de l’article L312-1 du code des juridictions financières, tous les agents publics susceptibles d’avoir ordonné irrégulièrement des dépenses sont justiciables devant une juridiction de droit commun spécialisée, la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF).
Mais cette justice ne s’applique pas à tous. Le deuxième paragraphe du même article prévoit que les membres du gouvernement et les présidents des exécutifs locaux lui échappent pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions. Il s’agit donc bien d’une immunité de juridiction dont bénéficient les ministres, les maires et les présidents de collectivité locale. Elle est d’autant plus anachronique, en ce qui concerne les exécutifs locaux, que le mouvement de décentralisation a considérablement accru, depuis plus de trente ans, le montant des fonds publics qu’ils gèrent sans que la loi ne se soit adaptée à cette situation.
Même si, dans leur immense majorité, ces gestionnaires publics font preuve de rigueur, d’honnêteté et d’efficacité, et surtout pour cette raison, la moralisation de la vie publique passe aussi par la suppression de leur immunité en ce qui -concerne la gestion de l’argent public. Il ne s’agit en somme que de mettre sur un pied d’égalité les élus et les fonctionnaires qui les servent.
Ce n’est pas qu’une question de symbole, car cette dérogation au droit commun a des effets pervers. Les agents publics, notamment les proches collaborateurs des exécutifs, peuvent indirectement profiter de l’immunité de leur supérieur hiérarchique. Placés sous l’ombrelle protectrice du responsable politique dont ils dépendent, ils échappent à la CDBF s’ils peuvent montrer qu’ils ont agi sur ordre de leur ministre (article L313-9) ou du président de l’exécutif local (article L313-10).
Rétablir une juridiction équitable
La suppression de l’immunité des ministres et des présidents des exécutifs locaux devant la Cour de discipline budgétaire et financière permettrait ainsi d’éviter la situation regrettable où un fonctionnaire commet une irrégularité sur la demande d’un élu et où la justice se trouve impuissante car le magistrat doit se déclarer incompétent pour juger l’élu. Le risque est alors qu’aucune juridiction ne soit véritablement armée pour se saisir de l’affaire, les infractions pénales éventuellement envisageables étant souvent définies différemment des infractions budgétaires et financières. Pire encore, si l’ordre du pouvoir exécutif brandi devant la cour est -contesté, le fonctionnaire n’est plus protégé alors même qu’il a pu avoir le sentiment d’obéir à une demande politique, et la justice financière se trouve à devoir sanctionner un lampiste.
Voilà pourquoi, Monsieur le Président, nous vous demandons encore un effort pour moraliser la vie publique. Au-delà des ministres, occupez-vous aussi des milliers d’actes de gestion dont le -contrôle importe également à la qualité de notre vie démocratique, tant il est vrai que ces élus, dans leurs actes de gestion, relèvent de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et qui dispose : » La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration. «